Maître SEBILEAU
Avocat à Nantes

Avant-Projet de réforme des contrats spéciaux et droit de la construction

10 Nov 2022 Charlotte SEBILEAU Avocat Droit de la construction

Après la réforme du régime général des contrats entrée en vigueur le 1er octobre 2016, un avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux a été établi. L’objectif est là encore en premier lieu de rendre plus accessible le droit des contrats. Les maitres mots sont : clarifier, simplifier et moderniser.

A cette fin, il est prévu une réorganisation des textes et donc une renumérotation partielle de ces derniers (I). Mais que les praticiens se rassurent, les rédacteurs ont pris le soin de conserver la numérotation actuelle des articles 1792 et suivants du code civil. Il est également procédé à la codification à droit constant d’un certain nombre de règles jurisprudentielles. Enfin, l’avant-projet de réforme des contrats spéciaux comprend un certain nombre d’innovations (II).

I-La réorganisation des textes

TITRE VIII BIS : DU CONTRAT D’ENTREPRISE

Actuellement, le droit de la construction est inséré dans un titre VIII nommé « du contrat de louage ». Ce titre regroupe à la fois les règles relatives à la location stricto sensu (= louage de chose) et au contrat d’entreprise (louage d’ouvrage)[2].

Ces deux types de contrat ont pour seul point commun d’être conclus à titre onéreux. En effet, si le louage de chose porte sur la jouissance d’une chose[3], le louage d’ouvrage porte sur une prestation[4]. Par ailleurs ils obéissent à des régimes distincts. Si bien qu’une foi les définitions fixées, des chapitres distincts sont actuellement consacrés au louage de choses d’une part et au louage d’ouvrage d’autre part.

L’avant-projet de réforme propose de consacrer exclusivement le titre VIII au contrat de location et de créer un titre VIII BIS consacré au contrat d’entreprise. Outre, un redécoupage effectivement opportun, il convient de noter l’abandon du « louage d’ouvrage » au profit du « contrat d’entreprise ». Le terme de contrat d’entreprise était en effet bien plus usité par la doctrine et les praticiens[5].

Une définition du contrat d’entreprise est proposée à l’article 1755 du code civil :

« Le contrat d’entreprise est celui par lequel l’entrepreneur réalise, de façon indépendante, un ouvrage au profit de son client, maître de l’ouvrage.

L’ouvrage peut être matériel ou intellectuel.

Il consiste en un bien ou un service. »

Au sein de ce nouveau titre VII BIS, il est proposé la création de deux chapitres : un premier consacré aux règles communes à tous les contrats d’entreprise et un second consacré aux dispositions propres aux contrats d’entreprise portant sur un bien.

CHAPITRE I -Dispositions communes à tous les contrats d’entreprise

Ce chapitre est composé de 3 sections, portant respectivement sur le contenu, les effets et l’extinction du contrat.

Section 1 – Du contenu du contrat d’entreprise

Il est rappelé que le contrat d’entreprise est un contrat consensuel formé dès que les parties ont convenu de l’ouvrage à réaliser. Pour le reste, cette section est principalement consacrée à la détermination du prix.

Section 2 – Des effets du contrats d’entreprise

§ 1 De la réalisation de l’ouvrage

Les premiers articles sont consacrées aux obligations incombant à l’entrepreneur et à sa responsabilité. Les articles suivants portent sur la sous-traitance.

§ 2 De la réception de l’ouvrage

Un article est consacré à la définition de l’ouvrage. Les articles suivants distinguent la réception expresse, la réception tacite et la réception judiciaire.

Enfin, un dernier article est consacré aux effets de la réception. Cet article a pour mérite de reprendre l’ensemble des effets liés à la réception : effet de purge des désordres non réservés, point de départ des garanties et des responsabilité, transfert de propriété, exigibilité du prix.

Section 3 : De l’extinction du contrat d’entreprise

Deux articles ouvrent deux modes spécifiques d’extinction du contrat d’entreprise :

  • La disparition de l’entrepreneur (décès ou incapacité de la personne physique ou dissolution de la personne morale
  • La résiliation unilatérale à l’initiative du client

CHAPITRE II -DISPOSITIONS PROPRES À CERTAINS CONTRATS D’ENTREPRISE

Ce chapitre est introduit par un premier article portant sur la théorie des risques.

Il est ensuite édicté des règles spécifiques au contrat d’entreprise mobilière et au contrat d’entreprise immobilière, c’est-à-dire le contrat de construction

Section I- Le contrat d’entreprise mobilière

Un article est consacré à la définition du contrat d’entreprise mobilière. Cette définition a notamment pour objet de distinguer le contrat d’entreprise du contrat de vente, sujet ayant donné lieu à une abondante jurisprudence. Les deux articles suivants sont consacrés au transfert de la propriété et aux obligations de l’entrepreneur.

Notons qu’il est proposé la création d’un article 1789 du code civil, consacrant l’obligation de l’entrepreneur, au même titre que le vendeur, de répondre des vices ou défauts de conformité cachés ou ayant fait l’objet de réserves lors de la réception.

Section II - Le contrat de construction

Il est proposé la création d’un article 1790 du code civil définissant le contrat de construction comme « celui par lequel l’entrepreneur se charge de la construction d’un ouvrage immobilier. » Il est dommage que les rédacteurs n’aient pas profité de la réforme pour définir l’ouvrage immobilier, s’agissant d’une notion qui a donné lieu à une abondante jurisprudence.

L’article 1791 du code civil est ensuite consacré au transfert de propriété dans le cadre du contrat de construction.

Enfin, la numérotation des article 1792 et suivants du code civil est conservée.

II- Les innovations

On peut noter 4 innovations majeures : l’abandon du caractère exclusivement onéreux du contrat de construction (A), la modification de la définition du constructeur (B), l’abandon de la jurisprudence relative aux éléments d’équipements adjoints à l’existant (C), l’abandon de la soumission des EPERS aux garanties obligatoires (D).

A) L’abandon du caractère exclusivement onéreux du contrat de construction

L’article 1710 du code civil dispose actuellement que : « Le louage d'ouvrage est un contrat par lequel l'une des parties s'engage à faire quelque chose pour l'autre, moyennant un prix convenu entre elles. » Il en résulte que le contrat de louage d’ouvrage est actuellement conclu à titre onéreux.

Dans le cadre de l’avant-projet de réforme il est proposé d’insérer un article 1756 du code civil, rédigé ainsi : « Le contrat d’entreprise peut être gratuit ou onéreux. Il est présumé onéreux lorsque l’ouvrage à réaliser s’inscrit dans le cadre de l’activité professionnelle de l’entrepreneur. »

Pour justifier cette innovation, la Commission indique que : « la flexibilité du contrat d’entreprise plaide en faveur de la prise en compte de cette catégorie, résiduelle mais réelle, notamment dans le secteur de l’économie bénévole. C’est pourquoi la commission a choisi de faire une place à ces situations spécifiques, qui ne se confondent pas avec la gestion d’affaire dès lors que chaque partie y a consenti. »

Toutefois, en pratique il nous semble qu’il risque de s’avérer difficile de distinguer la gestion d’affaires du contrat d’entreprise. En effet, le contrat d’entreprise étant un contrat consensuel, la seule absence de contrat écrit ne suffira pas à retenir la qualification de gestion d’affaires. A l’inverse, la gestion d’affaires pouvant s’effectuer avec la connaissance du maitre de l’affaire et sans opposition de ce dernier[6], la connaissance par le maitre d’ouvrage de l’intervention de la personne ne suffira pas à écarter la gestion d’affaires.

En outre, il ne nous semble pas opportun de soumettre des contrats conclus à titre gratuit aux garanties de la construction (garantie de parfait achèvement, garantie biennale, garantie décennale). Ces garanties sont en effet mobilisées sans qu’il ne soit nécessaire de démontrer l’existence d’une faute. Cela semble sévère à l’égard de celui qui a fourni gratuitement son travail. En outre, cela conduirait à imposer la souscription de contrats d’assurance décennale[7]. Une telle obligation semble là encore lourde en l’absence de contrepartie financière.

B) La modification de la définition du constructeur

Actuellement, la personne qui vend un ouvrage achevé depuis moins de dix ans est redevable envers son acquéreur de la garantie décennale en application de l’article 1792-1 du code civil. Cette règle s’inscrit dans la multiplication des débiteurs de la garantie décennale et vise à permettre l’indemnisation du maitre d’ouvrage.

La Commission propose de reformuler l’article 1792-1 du code civil de la façon suivante :

« Article 1792-1 du code civil : Est réputé constructeur de l'ouvrage :

1° Tout architecte, entrepreneur, technicien ou autre personne liée au maître de l'ouvrage par un contrat de louage d'ouvrage ;

2° Toute personne qui vend, après achèvement, un ouvrage qu'elle a construit ou fait construire à titre professionnel ;

3° Toute personne qui, bien qu'agissant en qualité de mandataire du propriétaire de l'ouvrage, accomplit une mission assimilable à celle d'un locateur d'ouvrage ;

4° Tout vendeur d’immeuble à construire ou à rénover, même s’il vend après achèvement ;

5° Tout constructeur de maison individuelle, avec ou sans fourniture du plan ;

6° Tout promoteur immobilier.

Est assimilée à un constructeur, toute personne profane qui vend, après achèvement, un ouvrage qu’elle a fait construire si elle ne communique pas à l’acquéreur, dans l’acte de vente, l’identité des constructeurs et de leurs assureurs. »

La Commission propose donc d’exclure le vendeur non professionnel qui vend après achèvement un ouvrage qu’il a fait construire s’il communique à l’acquéreur dans l’acte de vente l’identité des constructeurs et de leurs assureurs.

En pratique, l’acquéreur de l’ouvrage préfère le plus souvent agir directement contre les constructeurs professionnels et leurs assureurs, compte tenu de leur plus grande solvabilité. La garantie due par le vendeur non professionnel s’avère néanmoins utile dans 3 cas :

  • Le vendeur a lui-même édifié l’ouvrage (hypothèse du vendeur dit « castor »)
  • Le vendeur n’a pas communiqué le nom des constructeurs ayant édifié l’ouvrage et de leurs assureurs
  • Les constructeurs et leurs assureurs ont fait l’objet d’une liquidation judiciaire ou le constructeur qui a été liquidé n’était pas correctement assuré

Le nouveau texte permet de conserver la garantie du vendeur dans les deux premiers cas mais pas dans le troisième cas.

1. Le vendeur dit « Castor »

Aux termes du projet de texte, demeurerait tenue à la garantie décennale la personne qui vend après achèvement un ouvrage qu’elle a construit.

Le vendeur ayant construit lui-même l’ouvrage demeurerait ainsi tenu à la garantie décennale.

2. L’identité des constructeurs et de leurs assureurs est inconnue

La Commission a tenu à veiller à ce que l’acquéreur puisse tout de même exercer un recours contre les constructeurs et leurs assureurs. Elle propose donc d’ajouter au texte un dernier alinéa selon lequel : Est assimilée à un constructeur, toute personne profane qui vend, après achèvement, un ouvrage qu’elle a fait construire si elle ne communique pas à l’acquéreur, dans l’acte de vente, l’identité des constructeurs et de leurs assureurs

Ainsi, lorsque l’identité des constructeurs et de leurs assureurs ne serait pas communiquée à l’acquéreur dans l’acte de vente, le vendeur serait tenu à garantie décennale.

3. La défaillance des constructeurs et de leurs assureurs

Les procédures collectives sont malheureusement fréquentes dans le domaine de la construction. Nous avons par ailleurs été confrontés ces dernières années au placement en liquidation judiciaire de plusieurs assureurs européens, implantés sur le marché français en application des règles de libre échange en matière de prestation de services (CBL INSURANCE, ELITE INSURANCE, QUIDOS INSURANCE, ALPHA INSURANCE en particulier).

Or, il n’est pas rare que l’assureur Dommages-Ouvrage soit le même que l’assureur décennal du constructeur. Dans certains dossiers, nous avons ainsi été confrontés à la fois à la liquidation du constructeur, de son assureur décennal et de l’assureur Dommages-Ouvrage. La charge de l’indemnisation reposait alors sur le seul vendeur.

Depuis l’ordonnance du 27 novembre 2017, un fonds de garantie a été institué afin de prendre en charge l’indemnisation des travaux de reprise de l’ouvrage dans l’hypothèse où l’assureur Dommages-Ouvrage a été liquidé[8].

Ce fonds de garantie n’a en revanche pas vocation à intervenir dans l’hypothèse où c’est l’assureur décennal qui a été liquidé. Il n’a pas non plus vocation à prendre en charge les dommages dans l’hypothèse où l’entreprise n’était pas correctement assurée.

De plus, si la souscription de l’assurance Dommages-ouvrage est obligatoire[9], le défaut de souscription de cette assurance n’est pas sanctionné lorsque le maître d’ouvrage est une personne physique faisant construire l’ouvrage pour elle-même[10]. En pratique, on constate qu’il est fréquent que l’assurance Dommages-ouvrage ne soit pas souscrite par le maitre d’ouvrage[11].

Enfin, il n’est pas rare que les constructeurs ne soient pas correctement assurés : activité non garantie, conditions de garanties non respectées, souscription de l’assurance après l’ouverture de chantier, défaut de paiement des primes, fausse attestation d’assurance…

En conclusion, il nous semble que la nouvelle rédaction de l’article 1792-1 du code civil proposée par la Commission n’est pas suffisamment protectrice des intérêts de l’acquéreur. Il serait à notre sens préférable de libellé le dernier alinéa de la façon suivante : « Est assimilée à un constructeur, toute personne profane qui vend, après achèvement, un ouvrage qu’elle a fait construire si elle ne communique pas à l’acquéreur, dans l’acte de vente, l’attestation d’assurance Dommages-Ouvrage. »

C) L’abandon de la jurisprudence relative aux éléments d’équipements adjoints à l’existant

La mise en œuvre de la garantie décennale suppose la construction d’un ouvrage. Il en résultait que les travaux sur existant n’étaient soumis à garantie décennale qu’à la condition de constituer un ouvrage. Néanmoins, depuis 2017, la Cour de Cassation estime que « les éléments d’équipement, dissociables ou non, d’origine ou installés sur existant, relèvent de la responsabilité décennale lorsqu’ils rendent l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination »[12].

La Commission propose de mettre fin à cette jurisprudence en insérant à l’article 1792-7 du code civil, une mention selon laquelle ne sont considérés comme des éléments d’équipement d’un ouvrage au sens des l‘articles 1792, 1792-2 et 1792-3 « les éléments d’équipements installés sur existant ».

Il est vrai que la jurisprudence de 2017 a pu faire l’objet de certaines critiques. Le débat qui portait jusque-là sur la qualification d’ouvrage avait été reporté sur la qualification d’élément d’équipement. Et c’est surtout cette qualification qui a donné lieu à certains errement jurisprudentiels.

Il est à craindre qu’avec la suppression de cette règle instituée en 2017, le débat ne se reporte à nouveau sur la qualification d’ouvrage (cf. en particulier les débats relatifs à la qualification de la pompe à chaleur).

En outre, on peut s’interroger sur le point de savoir si la protection du particulier serait suffisamment assurée lorsqu’il fait installer sur existant des éléments d’équipement destinés à assurer la chauffe du logement.

La réforme des contrats spéciaux aurait pu être l’occasion d’instituer une garantie spécifique relative aux équipements installés sur existants, peut-être moins lourde que la garantie décennale, afin de ménager les intérêts économiques en présence.

D) L’abandon de la soumission des EPERS aux garanties obligatoires

L’actuel article 1792-4 du code civil dispose que :

« Le fabricant d'un ouvrage, d'une partie d'ouvrage ou d'un élément d'équipement conçu et produit pour satisfaire, en état de service, à des exigences précises et déterminées à l'avance, est solidairement responsable des obligations mises par les articles 1792, 1792-2 et 1792-3 à la charge du locateur d'ouvrage qui a mis en œuvre, sans modification et conformément aux règles édictées par le fabricant, l'ouvrage, la partie d'ouvrage ou élément d'équipement considéré. »

La Commission propose de supprimer ce texte au motif qu’il aurait un faible intérêt en pratique.

Il est effectivement exact qu’en pratique ce texte n’est que très rarement mis en œuvre.

En outre, on peut relever que le fabricant qui réalisera « une partie d'ouvrage ou d'un élément d'équipement conçu et produit pour satisfaire, en état de service, à des exigences précises et déterminées à l'avance » se verra appliquer les règles relatives au contrat d’entreprise mobilière.

Le projet d’article 1789 du code civil prévoit que l’entrepreneur qui a réalisé un ouvrage mobilier « répond des vices ou défauts de conformité affectant l’ouvrage, soit qu’ils aient été cachés lors de la réception, soit qu’ils aient fait l’objet de réserves de la part du client ».

Le sort du fabricant d’EPERS serait alors aligné sur celui du vendeur de matériaux. Il nous semble donc que la suppression de l’article 1792-4 du code civil donnera ainsi une certaine cohérence à l’ensemble.


[1] Article 1708 du code civil

[4] Droit des contrats spéciaux civils et Commerciaux, LGDJ, Précis DOMAT, 13ème édition, Alain BENABENT ; Contrat spéciaux, DALLOZ ? HyperCours, 8ème édition, Pascal Puig ;  droit des contrats spéciaux, LexisNexis, 10ème édition, Jacques Raynard et Jean-Baptiste Seube

[10] CAMIF HABITAT, estime par exemple à moins de 10% les maitres-d ’ouvrage souscrivant une assurance Dommages-Ouvrage (https://www.camif-habitat.fr/reglementations-normes/assurance-dommage-ouvrage/)


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