Dans le cadre du contrat de bail d’un local à usage d’habitation, la liberté contractuelle des parties est très strictement encadrée. A tel point, que le contrat doit être rédigé conformément à un modèle de bail fixé par décret.
Si ce modèle de bail laisse la possibilité aux parties d’intégrer des conditions particulières de leur choix, cette liberté demeure encadrée. Le bailleur devra en particulier prendre garde à ce que la clause ne soit pas qualifiée d’abusive (I).
Telle pourra être par exemple le cas, en cas de mise en place d’une clause pénale fixant une indemnité d’occupation égale à plusieurs fois le montant du loyer initial (II).
I. La clause abusive dans le contrat de bail
Une clause est dite abusive lorsqu’elle crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties. Dans certains cas, la clause abusive sera réputée non écrite. Cela signifie que le Juge ne l’appliquera pas.
La clause abusive figurant dans un contrat de bail d’un local à usage d’habitation peut être sanctionnée sur plusieurs fondements juridiques : le droit général des contrats (A), le droit de la consommation (B), la loi du 6 juillet 1989 (C).
A. Le droit général des contrats prohibant les clauses abusives dans les contrats d’adhésion
Dans le cadre de la réforme du droit des contrats de 2016, le législateur est venu sanctionner les clauses abusives stipulées dans les contrats d’adhésion. En application de l’article 1171 du code civil :
« Dans un contrat d’adhésion, toute clause non négociable, déterminée à l’avance par l’une des parties, qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite.
L’appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix à la prestation. »
Ces dispositions s’appliquent sans aucune distinction quant à la qualité des bailleurs et locataires (personnes physique ou morale, consommateur ou professionnel).
En général, le contrat de bail constitue un contrat d’adhésion rédigé par le bailleur. Le plus souvent, seule la clause relative au montant du loyer sera susceptible d’être négociée. Ainsi, si le contrat de bail comprend une clause créant un déséquilibre entre les droits et obligations des parties, cette dernière pourra être réputée non écrite.
B. Le droit de la consommation prohibant les clauses abusives
Les code de la consommation prohibe lui aussi les clauses abusives mais il n’a vocation à s’appliquer qu’entre (un bailleur) professionnel et un (locataire) consommateur.
L’article L.212-1 du code de la consommation dispose que :
« Sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au contrat. […] L’appréciation du caractère abusif des clauses au sens du premier alinéa ne porte ni sur la définition de l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible. ».
L’article L.132-1 du code de la consommation ajoute en son alinéa 6 que :
« Les clauses abusives sont réputées non écrites ».
Par exemple, la Cour de cassation dans un arrêt en date du 10 juin 2009[1] a jugé qu’une clause qui exclut toute indemnisation d’un locataire de mobil home en cas d’incendie et de vol constitue une clause abusive. En effet, cette clause prive le locataire de ses droits légaux vis-à-vis du professionnel s’il n’exécute pas convenablement ses obligations contractuelles.
La commission des clauses abusives[2] a rendu plusieurs recommandations concernant les clauses qui figurent dans les baux d’habitation (cf. par exemple une recommandation le 17 février 2000[3]). Ces recommandations sont rendues à titre indicatif mais seront souvent suivies par les Tribunaux.
C. La loi du 6 juillet 1989 prohibant les clauses abusives
Dans le cadre du contrat de bail d’un local à usage d’habitation, le locataire fait l’objet d’une protection spécifique. Le législateur veille en particulier à ce que le bailleur n’insère pas dans le contrat des clauses qui créeraient un déséquilibre significatif entre le locataire et lui-même.
Ainsi, l’article 4 de la loi du 6 juillet 1989 dispose donne une liste de clauses qui seront considérées comme abusives :
« Est réputée non écrite toute clause :
a) Qui oblige le locataire, en vue de la vente ou de la location du local loué, à laisser visiter celui-ci les jours fériés ou plus de deux heures les jours ouvrables ;
b) Par laquelle le locataire est obligé de souscrire une assurance auprès d’une compagnie choisie par le bailleur ;
c) Qui impose comme mode de paiement du loyer l’ordre de prélèvement automatique sur le compte courant du locataire ou la signature par avance de traites ou de billets à ordre ;
d) Par laquelle le locataire autorise le bailleur à prélever ou à faire prélever les loyers directement sur son salaire dans la limite cessible ;
e) Qui prévoit la responsabilité collective des locataires en cas de dégradation d’un élément commun de la chose louée ;
f) Par laquelle le locataire s’engage par avance à des remboursements sur la base d’une estimation faite unilatéralement par le bailleur au titre des réparations locatives ;
g) Qui prévoit la résiliation de plein droit du contrat en cas d’inexécution des obligations du locataire pour un motif autre que le non-paiement du loyer, des charges, du dépôt de garantie, la non-souscription d’une assurance des risques locatifs ou le non-respect de l’obligation d’user paisiblement des locaux loués, résultant de troubles de voisinage constatés par une décision de justice passée en force de chose jugée ;
h) Qui autorise le bailleur à diminuer ou à supprimer, sans contrepartie équivalente, des prestations stipulées au contrat ;
i) Qui autorise le bailleur à percevoir des amendes ou des pénalités en cas d’infraction aux clauses d’un contrat de location ou d’un règlement intérieur à l’immeuble ;
j) Qui interdit au locataire l’exercice d’une activité politique, syndicale, associative ou confessionnelle ;
k) Qui impose au locataire la facturation de l’état des lieux de sortie dès lors que celui-ci n’est pas établi par un huissier de justice dans le cas prévu par l’article 3-2 ;
l) Qui prévoit le renouvellement du bail par tacite reconduction pour une durée inférieure à celle prévue à l’article 10 ;
m) Qui interdit au locataire de rechercher la responsabilité du bailleur ou qui exonère le bailleur de toute responsabilité ;
n) Qui interdit au locataire d’héberger des personnes ne vivant pas habituellement avec lui ;
o) Qui impose au locataire le versement, lors de l’entrée dans les lieux, de sommes d’argent en plus de celles prévues aux articles 5 et 22 ;
p) Qui fait supporter au locataire des frais de relance ou d’expédition de la quittance ainsi que les frais de procédure en plus des sommes versées au titre des dépens et de l’article 700 du code de procédure civile ;
q) Qui prévoit que le locataire est automatiquement responsable des dégradations constatées dans le logement ;
r) Qui interdit au locataire de demander une indemnité au bailleur lorsque ce dernier réalise des travaux d’une durée supérieure à vingt et un jours ;
s) Qui permet au bailleur d’obtenir la résiliation de plein droit du bail au moyen d’une simple ordonnance de référé insusceptible d’appel ;
t) Qui impose au locataire, en surplus du paiement du loyer pour occupation du logement, de souscrire un contrat pour la location d’équipements.»
II. L’exemple de la clause abusive portant sur l’indemnité d’occupation
L’indemnité d’occupation est définie comme une somme d’argent à verser au propriétaire en contrepartie de l’occupation du bien. Lorsque le locataire ne quitte pas le logement à la date de sortie inscrite sur le bail, il sera condamné au versement d’une indemnité d’occupation. Il ne s’agit pas d’un loyer car le contrat de bail est rompu mais l’indemnité d’occupation est une contrepartie à l’occupation du bien. Aussi, cette dernière est généralement fixée par référence au montant du dernier loyer.
Par conséquent, lorsqu’une clause insérée dans le contrat de bail majore de manière importante le montant de l’indemnité d’occupation par rapport au montant du loyer, elle sera qualifiée de clause pénale[4]. En effet, il s’agira cette fois de sanctionner l’ancien locataire qui n’a pas quitté les lieux (et non simplement d’apporter au bailleur une contrepartie à l’occupation de son bien).
Une telle clause pénale sera le plus souvent qualifiée d’abusive et cela quelle que soit la nature du contrat de bail et l’identité des parties.
A. Concernant tout contrat de bail
En application de l’article 1171 du code civil :
« Dans un contrat d’adhésion, toute clause non négociable, déterminée à l’avance par l’une des parties, qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite.
L’appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix à la prestation. »
Toutefois, cette disposition est récente et on ignore à ce jour quelles sont les clauses qui seront considérées comme créant un déséquilibre significatif entre les parties au sens de l’article 1171 du code civil.
On peut supposer, par analogie aux décisions rendues en matière de droit de la consommation, que la clause pénale mettant à la charge du locataire le versement d’une indemnité d’occupation majorée en cas de maintien dans les lieux à l’issue du bail, sera considérée comme abusive s’il n’est pas prévu de clause pénale mettant à la charge du bailleur une indemnité majorée en cas de manquement à ses obligations (et en particulier de manquement à l’obligation de délivrance).
B. Concernant le contrat de bail conclu entre un bailleur professionnel et un locataire consommateur
L’article L.212-1 du code de la consommation dispose que :
« Sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au contrat. […] L’appréciation du caractère abusif des clauses au sens du premier alinéa ne porte ni sur la définition de l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible. ».
La commission des clauses abusives est venue préciser concernant clauses pénales que :
« 32. Considérant que tous les contrats comportent, à la charge exclusive du locataire, des clauses pénales (dépôt de garantie acquis par le bailleur, indemnité d’occupation de deux fois à trois fois le loyer quotidien…) en cas d’inexécution d’une des clauses du bail ou de retard dans le paiement du loyer ; que de telles clauses, compte tenu de l’absence de réciprocité en cas de manquement du bailleur, sont source de déséquilibre contractuel au détriment du consommateur. »
Ainsi, dans les contrats conclus entre un bailleur professionnel et un locataire consommateur (hors local d’habitation), la clause prévoyant le versement d’une indemnité d’occupation majorée en cas de retard du locataire dans son obligation de quitter les lieux sera considérée comme abusive, s’il n’est pas prévu le versement de pénalités dans le cas où le bailleur manquerait lui-même à ses propres obligations.
C. Concernant le bail d’un local à usage d’habitation
L’article 4(i) de la loi du 6 juillet 1989[5] énonce que :
« Est réputée non écrite toute clause : […]
Qui autorise le bailleur à percevoir des amendes ou des pénalités en cas d’infraction aux clauses d’un contrat de location ou d’un règlement intérieur de l’immeuble.»
Ainsi, dans le cadre du contrat de bail sera abusive toute clause pénale mettant à la charge du locataire le versement d’une indemnité forfaitaire en cas de violation du contrat.
C’est en ce sens qu’a par exemple statué la Cour d’Appel dans un arrêt en date du 31 octobre 2019[6]:
« toute clause pénale qui met à la charge exclusive du locataire une indemnité d’occupation de deux fois le loyer quotidien et crée ainsi un déséquilibre significatif entre ses droits et ceux du bailleur, est considérée comme abusive ».
Ainsi, dans le cadre d’un contrat de bail d’un local à usage d’habitation sera considérée comme abusive toute clause prévoyant le versement d’une indemnité d’occupation supérieure au montant du dernier loyer.
[1] Cass, 3ème civ., 10 juin 2009, n° 08-13797
[2] Instituée par l’article L. 132-2 du code de la consommation, la Commission des clauses abusives examine les modèles de conventions habituellement proposés par les professionnels et recommande la suppression ou la modification des clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.
[3] Recommandation de la commission des clauses abusives n° 2000-01, location de locaux à usage d’habitation, 17 février 2000
[4] La clause pénale est une clause par laquelle les parties évaluent forfaitairement et par avance l’indemnité qui sera due en cas d’inexécution totale, partielle ou tardive du contrat
[5] Loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986
[6] CA Caen, 2ème cb civ. et com., 31 oct. 2019, n° 18/00444, JurisData n° 2019-019426