Maître SEBILEAU
Avocat à Nantes

Le retard de chantier

02 Mai 2023 Charlotte SEBILEAU Avocat Droit de la construction

Les travaux doivent en principe être réalisés dans les délais fixés au contrat (I). En cas de retard de chantier, le constructeur s’expose à des sanctions (II).

I- L’obligation de réaliser les travaux dans les délais fixés

Dans le cadre du contrat de maison individuelle (A) et du contrat de vente en l’état futur d’achèvement (B) le contrat doit à peine de nullité mentionner le délai de réalisation des travaux.

Dans les autres contrats de construction, il n’est pas obligatoire de préciser le délai de réalisation des travaux. Le constructeur sera alors tenu de réaliser les travaux dans un délai raisonnable (C).

A) Délai de réalisation des travaux dans le contrat de construction de maison individuelle (CCMI)

En application de l’article L.231-2 du CCH, le contrat de construction de maison individuelle (CCMI) doit, à peine de nullité, mentionner la date d’ouverture du chantier et le délai d’exécution des travaux. La livraison doit intervenir dans le délai contractuellement fixé. La remise des clefs (= prise de possession)[1] d’une maison habitable[2] caractérise la livraison.

Le délai contractuel ne peut être prorogé qu’en raison des motifs suivants : intempéries, force majeure et cas fortuits (article L.231-3 du CCH). S’agissant des intempéries, elles ne constitueront une cause de prorogation du délai d’exécution des travaux qu’à la condition que le contrat le prévoie.

La faute du maitre d’ouvrage pourra exonérer partiellement ou totalement le constructeur de sa responsabilité dans le retard de chantier[3].

B) Délai de réalisation des travaux dans le contrat de vente en état futur d’achèvement

En application de l’article L.261-11 du CCH, le contrat de vente en l’état futur d’achèvement (VEFA) doit, à peine de nullité, préciser le délai de livraison. La livraison suppose que l’ouvrage soit apte à sa destination[4].

Le contrat peut prévoir des clauses de prorogation du délai de livraison. En tout état de cause, le vendeur en l’état d’achèvement pourra s’exonérer de sa responsabilité en invoquant la force majeure sur le fondement de l’article 1218 du code civil ou en se prévalant de la faute de l’acquéreur[5].

C) Délai de réalisation des travaux dans les autres contrats de construction

Il convient de distinguer la situation de l’entrepreneur qui doit réaliser son lot dans le délai convenu (1) de celle de l’architecte qui ne réalise pas lui-même les travaux mais en assure la direction (2). Il pourra ainsi accomplir parfaitement sa mission de direction et pour autant le chantier prendra tout de même du retard (en raison de la défaillance d’un constructeur par exemple).

1) L’obligation de résultat de l’entrepreneur de réaliser les travaux dans le délai convenu

L’entrepreneur a l’obligation de livrer l’ouvrage qu’il construit dans les délais convenus. Ce délai sera en principe fixé par les parties dans le marché de travaux[6]. Un délai peut également être fixé dans le procès-verbal de réception des travaux, concernant la levée des réserves.

Notons que même lorsque aucun délai n’a été fixé contractuellement, la Cour de Cassation admet que le maitre d’ouvrage puisse mettre en demeure l’entrepreneur de réaliser les travaux dans un délai raisonnable[7].

En outre, le maitre d'ouvrage qui a fait construire son logement ou réaliser des travaux dans celui-ci pourra se prévaloir des dispositions du code de la consommation. L'article L.216-1 du code de la consommation dispose que " à défaut d'indication ou d'accord quant à la date de délivrance ou de fourniture, le professionnel délivre le bien ou fournit le service sans retard injustifié et au plus tard trente jours après la conclusion du contrat."
 

Sauf clause contraire dans le marché de travaux, l’entrepreneur, tenu d’une obligation de résultat[8] ne pourra s’exonérer totalement ou partiellement de sa responsabilité qu’en démontrant :

  • La survenance d’un évènement revêtant les caractéristiques de la force majeure (article 12311 du code civil)
  • La faute du maitre d’ouvrage[9] : retard dans le paiement des travaux[10], demandes de modifications en cours de chantier et retard dans la signature des avenants[11]
  • La faute d’un autre constructeur (à condition qu’il ne s’agisse pas du sous-traitant du constructeur). Par exemple : le peintre n’a pas pu réaliser les peintures dans les délais fixés car les murs n’avaient pas été réalisés par le maçon.

2) Les obligations de l’architecte

Dans le cadre de la phase de conception, l’architecte est tenu d’exécuter sa mission conformément aux délais fixés dans le contrat de maitrise d’œuvre. Il sera tenu à ce titre d’une obligation de résultat[12].

En revanche, dans le cadre de la phase d’exécution, l’architecte ne sera tenu que d’une obligation de moyen quant au respect du délai de construction. Sa responsabilité ne pourra ainsi être engagée qu’à la condition de démontrer qu’il a commis une faute à l’origine du retard de chantier[13].

Cette faute peut résulter :

  • Du défaut d’accomplissement par le maitre d’œuvre des missions lui incombant dans les délais fixés[14]
  • De l’absence d’établissement d’un planning de travaux et de l’absence de rappel adressé à l’entreprise défaillante[15]
  • Du suivi insuffisant du chantier : les comptes rendus de chantier ne faisaient pas référence au planning de travaux et ne comportaient aucune consigne ou explication concernant le retard de chantier[16]

II- La sanction du retard de chantier

En cas de retard de chantier, plusieurs sanctions peuvent être envisagées conformément à l’article 1217 du code civil. Le maitre d’ouvrage pourra notamment demander le versement d’une indemnité au titre du préjudice subi (B) mais aussi mettre fin au contrat du constructeur (C). Si des pénalités de retard ont été prévues au contrat, il pourra en demander l’application (A).

A) Les pénalités de retard

Les pénalités de retard ne peuvent en principe être demandées qu’à la condition d’avoir été prévues dans le cadre du contrat (A). Il existe néanmoins une exception en matière de contrat de construction de maison individuelle (B).

1) Les pénalités de retard dans le contrat de construction de maison individuelle

En application de l’article L.231-2 du CCH, le contrat doit prévoir des pénalités en cas de retard d’exécution.

Ces pénalités ne peuvent pas être inférieures à 1/3 000 du prix convenu par jour de retard (article R231-14 du CCH). Le prix convenu est celui « initialement » convenu[17]. Ce minimum légal ne constitue pas une clause pénale. Les pénalités de retard ne peuvent donc pas être réduites par le Juge[18].

La garantie financière de livraison couvre le paiement des pénalités en cas de retard de livraison excédant 30 jours (article L.231-6 du CCH).

2) Les pénalités de retard dans les autres contrats

Les autres contrats peuvent prévoir des pénalités de retard, mais cela n’est pas obligatoire.

Il s’agira d’une clause pénale au sens de l’article 1226 du code civil. Le Juge pourra, même d’office, modérer ou augmenter la pénalité convenue si elle est manifestement excessive ou dérisoire (article 1231-5 du code civil).

Il ne pourra pas être sollicité l’allocation de dommages intérêts en sus des pénalités de retard, sauf à démontrer l’existence d’un préjudice distinct de celui réparé par les pénalités de retard[19].

B) L’allocation de dommages et intérêts

Le maitre d’ouvrage pourra demander des dommages et intérêts au titre des préjudices qu’il a pu subir en raison du retard. Il pourra s’agir par exemple :

  • Des frais de location dans l’attente de l’emménagement dans le logement acheté[20]
  • Augmentation du coût de la construction
  • De la perte d’une subvention[21] ou d’un avantage fiscal
  • De la perte de loyer[22], perte d’exploitation[23] préjudice de jouissance
  • De l’augmentation du coût du financement (prêt relai, intérêts intercalaires…)[24]
  • Du préjudice moral

C) La résiliation du contrat

Le maitre d’ouvrage pourra solliciter la résolution du contrat : soit en application d’une clause résolutoire, soit, en cas d’inexécution suffisamment grave, sur notification du maitre d’ouvrage ou par décision de justice (article 1224 du code civil).

Clause résolutoire (article 1225 du code civil) : elle précise les engagements dont l’inexécution entrainera la résolution du contrat. Sa mise en œuvre supposera la délivrance d’une mise en demeure visant la clause résolutoire.

Résiliation sur notification du maitre d’ouvrage (article 1126 du code civil) : il faut que l’inexécution soit suffisamment grave, ce qui suppose donc un retard important.  Par ailleurs, sauf urgence, le maitre d’ouvrage devra préalablement mettre en demeure le constructeur de satisfaire à ses obligations dans un délai raisonnable.

Résiliation judiciaire (1227 du code civil) : le Juge conserve le pouvoir d’apprécier la gravité du manquement du vendeur.

Conformément aux dispositions de l’article 1229 du code civil, il sera procédé aux comptes entre les parties en fonction des travaux effectivement réalisés. Le constructeur devra restituer l’éventuel trop perçu par rapport aux travaux réalisés. A l’inverse, le maitre d’ouvrage devra verser un complément de prix, si les travaux effectivement réalisés n’ont pas été intégralement réglés.

Le maitre d’ouvrage pourra en outre solliciter l’allocation de pénalités de retard pour la période comprise entre la date à laquelle l’ouvrage aurait dû être livré et la date de la résiliation du contrat[25].


[1] C.Cass. 3ème civ. 11 fév. 2009, n°08-10.476 ; Cass. 3ème civ. 4 avril 2013, n°12-12.318 ; C.Cass. 3ème civ. 31 janv. 2007, n°05-20.683

[9] Cour de cassation, Chambre civile 3, 8 Novembre 2005 - n° 04-17.701 : le constructeur ne pourra s’exonérer totalement de sa responsabilité que si la faute du maitre d’ouvrage est la cause unique du dommage

[10] Cour d'appel, Paris, Pôle 4, chambre 5, 12 Octobre 2022 – n° 18/20072

[12] Cour d'appel, Riom, 1re chambre civile, 6 Juillet 2021 – n° 18/00204 : « Il est constant qu'en cas de retard, la responsabilité en incombe à l'entrepreneur qui manque alors à son obligation de résultat de respecter le délai contractuel. Sauf s'il s'est engagé à respecter un délai, l'architecte, en cas de retard, ne répond que de sa faute spécifique à l'origine de ce retard. » ;

[14] Cour d'appel, Toulouse, 1re chambre, 1re section, 25 Octobre 2021 – n° 18/02014

[15] Cour d'appel, Dijon, 1re chambre civile, 26 Janvier 2021 – n° 18/00621

[16] Cour d'appel, Paris, Pôle 4, chambre 5, 28 Septembre 2022 – n° 19/16041

[21] Cour d'appel, Grenoble, 2e chambre civile, 7 Septembre 2021 – n° 18/05123

[23] Cour d'appel, Paris, Pôle 4, chambre 5, 28 Septembre 2022 – n° 19/16041


Articles similaires

Charlotte SEBILEAU Avocat

10 rue Charles Brunellière
44100 Nantes

Derniers articles

À la une

COVID 19 et règlement des loyers

24 Août 2022

Les commerçants auxquels il était fait interdiction d’accueillir du public étaient-ils en droit de ne pas payer leurs loyers ?
Pour répondre à une telle question il apparait important d’évoquer da...

La régularisation des charges locatives

14 Sep 2023

Dans le cadre d'un contrat de bail d'habitation, il est possible de prévoir qu'en plus du loyer le locataire s'acquittera mensuellement d'une somme au titre des charges. Les charges sont des dépens...

Délais de recours du constructeur non réalisateur

02 Juil 2023

Les délais de recours applicables en matière de droit de la construction présentent une grande complexité. En outre, les règles en matière reposant en grande partie sur la jurisprudence de la Cour ...

Catégories

Réalisation & référencement Simplébo   |   Site créé grâce à PRAEFERENTIA

Connexion