Les délais d’action en matière de garantie des vices cachés
Dans quel délai l’action en garantie des vices cachés doit-elle être exercée ?
Cette question pourtant simple appelle une réponse extrêmement complexe compte tenu de la jurisprudence actuelle de la Cour de Cassation, qui diverge selon les chambres et selon que la vente est intervenue antérieurement ou postérieurement au 19 juin 2008, date d’entrée en vigueur de la réforme de la prescription.
L’article 1648 du code civil institue un délai d’action (I), auquel la Cour de Cassation ajoute un délai dit « butoir » (II).
I- Le délai d’action fixé par l’article 1648 du code civil
L’article 1648 du code civil dispose que l’action en garantie des vices cachés « doit être intentée par l'acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice. »
Le point de départ de ce délai est ainsi fixé non pas à la date de la vente, mais à la date de la découverte du vice (A). Ce délai est en outre susceptible de faire l’objet d’une interruption (B).
A) Le point de départ du délai fixé par l’article 1648 du code civil
La découverte du vice ne s’entend pas seulement de la connaissance de l’existence de ce dernier[1], mais également de la connaissance de sa cause[2], son ampleur et ses conséquences[3]. En revanche,la connaissance du vice n'est pas conditionnée à la connaissance du coût des travaux nécessaires pour y remédier [23].
1) Le possible report du point de départ du délai à la date du rapport d’expertise
Cela peut conduire les Juges du fond à reporter le point de départ de l’action en garantie des vices cachés à la date du dépôt du rapport d’expertise amiable[4] ou même à la date du dépôt du rapport d’expertise judiciaire[5].
Les Juges du fond procèdent néanmoins à une analyse in concreto, en fonction des circonstances de l’affaire. Ainsi, le point départ du délai fixé à l’article 1648 du code civil n’est pas systématiquement fixé à la date du dépôt du rapport d’expertise [6].
2) Le report du point de départ dans le cadre de l’action récursoire
L’action en garantie des vices cachés peut également s’inscrire dans le cadre d’une chaine contractuelle, soit que l'acquéreur ait revendu le bien ou qu'il l'ai installé dans le cadre d’un contrat d’entreprise. Dans cette hypothèse, l’acquéreur n’engagera l’action en garantie des vices cachés que parce qu’il est lui-même mis en cause par son client. Il s’agira alors d’une action dite récursoire.
Dans le cadre d’une telle action récursoire, la Cour de Cassation fixe le point de départ du délai d’action de l’acquéreur à la date à laquelle il a lui-même été assigné[7]. La Cour de Cassation a pu juger qu'il convenait de retenir la date de l'assignation en référé-expertise et non la date à laquelle l’acquéreur est assigné en paiement[8].
B) L’interruption du délai fixé à l’article 1648 du code civil
Ce délai institué par l’article 1648 du code civil est un délai de forclusion[9]. Il n’est donc pas susceptible d’être suspendu (1). Il peut en revanche être interrompu (2).
1) L’absence de suspension du délai de prescription pendant le cours des opérations d’expertise judiciaire
Le code civil prévoit aux articles 2228 et suivants du code civil, l’aménagement du délai de prescription (suspension, interruption et report du point de départ du délai de prescription). Ces dispositions s’appliquent aux seuls délais de prescription, sauf mention contraire (article 2220 du code civil).
En particulier, en matière de vices cachés, s’était posé la question de savoir si le délai de forclusion de l’action en garantie des vices cachés[10] était suspendu pendant le cours des opérations d’expertise judiciaire.
L’article 2239 du code civil dispose en effet que : « La prescription est également suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès.
Le délai de prescription recommence à courir, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois, à compter du jour où la mesure a été exécutée. »
Ce texte ne vise pas le délai de forclusion. La Cour de Cassation en a déduit que la suspension de la prescription prévue par l’article 2239 du code civil n’est pas applicable aux délais de forclusion[11]. Ainsi, le délai de prescription ne sera pas suspendu pendant les opérations d’expertise judiciaire.
2) Les cas d’interruption du délai de forclusion
En application de l’article 2241 du code civil, l’action en justice, même en référé interrompt le délai de forclusion. L’article 2242 du code civil ajoute que l’interruption de la prescription produit ses effets jusqu’à l’extinction de l’instance.
L’action en référé expertise, va ainsi interrompre le délai de forclusion de l’action en garantie des vices cachés. Un nouveau délai de deux ans commencera à courir à compter de la date de l’ordonnance de référé désignant l’Expert Judiciaire[12].
La Cour de Cassation considère que l'action en garantie des vices cachés et l'action exercée en raison du défaut de délivrance conforme tendent aux mêmes fin. L'action en garantie des vices cachée sera donc interrompue même si l'assignation en référé ne visait que le défaut de délivrance conforme et inversement (Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 2 mars 2023, 21-18.771).
Or il est fréquent que les opérations de d’expertise judiciaire durent plus de deux ans. Dans une telle hypothèse, l’acquéreur pourra toujours demander au Tribunal de reporter le point de départ du délai de forclusion à la date du rapport d’expertise judiciaire (Cf. I, A, 1). Mais ainsi que nous l’avons vu, le Tribunal apprécie souverainement les faits et le report du point de départ du délai de forclusion à la date du dépôt du rapport d’expertise judiciaire n’est pas automatique. Aussi, il est vivement conseillé à l’acquéreur, dans l’hypothèse où les opérations d’expertise judiciaire s’installeraient dans la durée, d’assigner au fond son vendeur sans attendre le dépôt du rapport définitif.
En application de l’article 2244 du code civil, le délai de forclusion est également interrompu par une mesure conservatoire prise en application du code des procédures civiles d'exécution ou un acte d'exécution forcée.
II- L’institution d’un délai butoir
Afin d’éviter que le report du délai de prescription ne puisse conduire le vendeur à être exposé indéfiniment au recours de l’acquéreur, il apparaissait important d’instituer un délai butoir. Avant la réforme de la prescription en 2008, aucun délai butoir n’était prévu par le code civil. Il a en conséquence été créé par la Cour de Cassation sur le fondement des règles de prescription de droit commun (A).
Avec la réforme de la prescription en 2008, un délai butoir a été institué à l’article 2232 du code civil. Cela a conduit la 3ème chambre civile, à abandonner sa jurisprudence antérieure et à faire application de ce nouveau délai butoir concernant les ventes civiles. La 1ère chambre civile et la Chambre commerciale continuent en revanche à faire application de la jurisprudence ancienne concernant les ventes commerciales (B).
A) Le délai butoir institué antérieurement à la réforme de la prescription de 2008
Antérieurement à la réforme de la prescription, aucun délai butoir n’était prévu par le code civil. Pour fixer un délai butoir la Cour de Cassation s’appuyait alors sur le délai de prescription de droit commun, estimant que l’action en garantie des vices cachés était enfermée dans un double délai :
- 2 ans à compter de la découverte du vice (article 1648 du code civil)[13]
- 30 ans à compter de la vente en matière civile (ancien article 2262 du code civil)[14] ou 10 ans à compter de la vente en matière commerciale (ancien article L.1104 du code de commerce)
Le délai butoir ainsi institué (30 ans en matière civile et 10 ans en matière commerciale) était ainsi relativement long et ménageait les intérêts en présence.
Mais une application stricte de ce délai récursoire aurait pu conduire à priver l’acquéreur de son recours récursoire en garantie des vices cachés contre le vendeur lorsque sa responsabilité était recherchée plus de 10 ans après la vente en matière commerciale (ou plus de 30 ans après la vente en matière civile).
Aussi, la Cour de Cassation a eu l’occasion de préciser que l’entrepreneur ne pouvant pas agir contre le vendeur avant d’avoir été lui-même assigné par son client, le délai de l’article L.110-4 du code de commerce courant à compter de la vente était suspendu jusqu’à ce que sa responsabilité ait été recherchée[15].
B) Le délai butoir institué postérieurement à la réforme de la prescription de 2008
Désormais le délai butoir est fixé différemment par la 3ème chambre civile, qui est amenée à se prononcer quasi exclusivement sur les ventes civile (1) et parla 1ère chambre civile et la chambre commerciale qui ne se sont pour l’heure prononcées qu’en matière commerciale (2).
1) Le délai butoir fixé en matière civile par la 3ème chambre civile
L’article 2232 du code civil dispose désormais que : « Le report du point de départ, la suspension ou l'interruption de la prescription ne peut avoir pour effet de porter le délai de la prescription extinctive au-delà de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit ».
La 3ème chambre civile de la Cour de Cassation estime qu’il convient de faire application de ce nouveau délai butoir aux ventes conclues à compter du 19 juin 2008[16]. Etant précisé que la 3ème chambre civile fixe la naissance du droit à la date de la conclusion du contrat de vente[17].
Ainsi, l’action en garantie des vices cachés est enfermée dans un double délai :
- 2 ans à compter de la connaissance du vice (article 1648 du code civil)
- 20 ans à compter de la vente (article 2232 du code civil)
Elle cesse en conséquence de faire application du délai de prescription de droit commun aux actions en garanties des vices cachés. Elle explique en effet, que le point de départ du délai de prescription de droit commun édicté par l’article 2224 du code civil est fixé « au jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer, ce qui annihile toute possibilité d'encadrement de l'action en garantie des vices cachés, le point de départ de la prescription extinctive du droit à garantie se confondant avec le point de départ du délai pour agir prévu par l'article 1648 du même code, à savoir la découverte du vice. »[18]
2) Le délai butoir fixé en matière commerciale par la 1ère chambre civile et par la chambre commerciale
En revanche, la 1ère chambre civile[19] et la chambre commerciale[20] font pour leur part application de la jurisprudence antérieure aux ventes commerciales conclues à compter du 19 juin 2008, estimant donc que l’action en garantie des vices cachés est enfermée dans un double délai :
- 2 ans à compter de la découverte du vice (article 1648 du code civil)
- 5 ans à compter de la vente en matière commerciale (article L.1104 du code de commerce)
Il est vrai que l’article L.110-4 du code de commerce applicable en matière commerciale, contrairement à l’article 2224 du code civil applicable en matière civile, ne précise pas le point de départ du délai de prescription. Cela pourrait, théoriquement, justifier que les divergences de jurisprudence entre les différentes chambres de la Cour de Cassation.
Mais en pratique la solution est critiquable, car si l’article L.110-4 du code de commerce ne précise pas le point de départ du délai de prescription, en d’autres matières, la chambre commerciale a eu l’occasion de préciser que le délai court à compter de la date de réalisation du dommage ou à la date où la victime est en mesure d'agir[21]. On ne voit pas bien pour quel motif ce point de départ du délai de prescription ne pourrait pas être retenu dans le cadre de l’action en garantie des vices cachés.
D’ailleurs, c’est l’analyse de la troisième chambre civile, qui a eu l’occasion de se prononcer sur le délai butoir applicable dans le cadre d’une vente commerciale. Elle a jugé que : « la loi du 17 juin 2008 ayant réduit le délai de prescription prévu par l'article L. 110-4, I, du code de commerce, sans préciser son point de départ, celui-ci ne peut que résulter du droit commun de l'article 2224 du code civil. Il s'ensuit que le délai de cinq ans de l'article L. 110-4, I, du code de commerce ne peut plus être regardé comme un délai butoir et que l'action en garantie des vices cachés doit être formée dans le délai de deux ans à compter de la découverte du vice ou, en matière d'action récursoire, à compter de l'assignation, sans pouvoir dépasser le délai butoir de vingt ans à compter de la vente initiale[22]. »
En outre, ce délai butoir est beaucoup plus court et il conduit fréquemment à priver l’acquéreur de son recours. Aussi, cette jurisprudence est critiquée par la majeure partie de la doctrine.
D’ailleurs, pour remédier aux difficultés inhérentes à un délai butoir très court, l’avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux propose d’insérer dans l’article 1648 du code civil le délai butoir de l’article 2232 du code civil (qui s’appliquerait donc à la fois en matière civile et en matière commerciale). Une option est néanmoins également proposée au législateur qui consisterait à fixer le délai butoir à 10 ans à compter de la vente.
[1] C.Cass. 1ère civ. 1 juin 2022, 20-22.546
[2] C.Cass. 3ème civ. 19 nov. 2015, n°14-17.784 ; CA AMIENS, 1ère civ. 29 avril 1997, JurisData n°1997-043591
[3] C.Cass. Com. 14 juin 2016, n°14-28.253 ; C.Cass. 1ère civ. 5 avril 2018, n°17-15.345 ; C.Cass. 1ère civ. 4 avril 2006, n°03-20.379 ; CA LIMOGES, 2ème civ. 19 mars 1996, JurisData n°1996-042043 ; CA TOULOUSE, 1ère ch., 1ère section, 24 juin 2013, n°11/05624, JurisData n°013-028365 ; CA PARIS, Pôle 4, 1ère chambre, 13 mai 2022, n°21/20970
[5] C.Cass. 1ère civ. 11 janvier 1989, n° 87-12.766 ; C.Cass. 3ème civ. 19 nov. 2015, n°14-17.784 ; C.Cass. 1ère civ. 5 avril 2018, n°17-15.345 ; CA TOULOUSE, 1ère ch., 1ère section, 24 juin 2013, n°11/05624, JurisData n°013-028365 ; CA PARIS, Pôle 4, 1ère chambre, 13 mai 2022, n°21/20970
[6] A contrario, dans certaines affaires les Juges du fond peuvent estimer que l’acquéreur avait connaissance du vice, de son ampleur et de ses conséquences avant le dépôt du rapport d’expertise judiciaire. Cf. par exemple : C.Cass. 3ème civ. 12 nov. 2020, n°19-21.325 ; CA BORDEAUX, 2ème civ. 23 mars 2017, n°15/02368
[7] C.Cass. 3ème civ. 16 fév. 2022, n°20-19.047 ; C.Cass. Com. 29 juin 2022, n°19-20.647 ; Com. 3ème civ. 20 janvier 1993, n°90-21.522 ; C.Cass. Com. 26 janv. 1988, n°86-14.610 ; Voir à contrario une affaire dans laquelle la Cour de Cassation a estimé que les juges du fond avaient souverainement pu fixer le point de départ de l’action récursoire en garantie des vices cachés à la date du dépôt du rapport d’expertise : C.Cass. 1ère civ. 27 juin 2000, n°98-16.061
[8] recours récursoire du constructeur contre son sous-traitant:
C.Cass., 3ème civ. 19 mai 2016, n°15-11.355 ; C.Cass. 3ème civ. 16 janv. 2020, n°18-25.915 ; C.Cass. 3ème civ. 1er oct. 2020, n°19-13.131
Recours récursoire de l'acquéreur contre son vendeur: C.Cass.3ème 16 fév. 2022, n° 20-19.047 ; C.Cass.3ème civ. 25 mai 2022, n°21-18.218 ; C.Cass. 3ème civ. 8 fév. 2023, n°21-20.271
A contrario :C.Cass. Com. 22 mai 2012, n°11-18.126 ; C.Cass. Com. 22 mai 2012, n°11-18.125 ; C.Cass. Com. 22 mai 2012, n°11-18.124; C.Cass. 3ème civ. 14 déc. 2022, n°21-21.305[9] C.Cass. 3ème civ. 10 nov. 2016, n°15-24.289 ; C.Cass. 3ème civ. 5 janv. 2022, n°20-22.670
[11] C.Cass. 3ème civ. 3 juin 2015, n°14-15.796 ; C.Cass. 3ème civ. 5 janv. 2022, n°20-22.670 [12] C.Cass. 3ème civ. 5 janv. 2022, n°20-22.670 ; Dans son rapport annuel 2021, la Cour de Cassation suggère de procéder à une réforme sur ce point concernant le délai d'action en matière de droit de la construction: "Le temps de l’expertise doit être une parenthèse procédurale. Admettre l’application de l’effet suspensif de l’article 2239 du code civil aux actions engagées, après réception, par les maîtres de l’ouvrage ou les acquéreurs, permettrait, notamment pour les brefs délais, d’éviter des actions au fond prématurées voire inadaptées faute de connaissance des conclusions du rapport d’expertise". En revanche, la suspension du délai de forclusion de l'action en garantie des vices cachés n'est pas évoquée.
[13] Délai fixé à 2 ans depuis le 18 février 2005, antérieurement le délai d’action était fixé à « bref délai » et la notion de bref délai était librement appréciée par les juges du fond en fonction des circonstances de l’affaire
[15] C.Cass. 3ème civ. 20 oct. 2004, n°02-21.576 ; C.Cass. 3ème civ. 16 fév. 2022, n°20-19.047 ; C.Cass. 3ème civ. 6 déc. 2018, n°17-24.111 ; C.Cass. 3ème civ. 8 fév. 2023, n°21-20.271. De la même façon, le point de départ de l’action récursoire du constructeur contre ses sous-traitants est fixée à la date à laquelle il est assigné : C.Cass. 3ème civ. 16 janv. 2020, n°18-25.915
[19] C.Cass. 1ère civ. 6 juin 2018, n°17-17.438 ; C.Cass. 1ère civ. 24 oct. 2019, n°18-14.720 ; C.Cass. 1ère civ. 6 nov. 2019, n°18-21.481