Maître SEBILEAU
Avocat à Nantes

Peut-on expulser un locataire de plus de 65 ans ?

30 Mai 2023 Charlotte SEBILEAU Avocat Droit locatif

La loi du 6 juillet 1989 encadre l'expulsion des locataires de plus de 65 ans. Il convient de distinguer deux cas:

  • Le locataire a commis une faute (défaut de paiement des loyers et/ou charges, absence d'attestation d'assurance, troubles causés au voisinage...) et le bailleur souhaite obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de bail (et son expulsion)
  • Le bailleur souhaite donner congé à son locataire pour vente ou pour reprise du logement

I- La résiliation judiciaire du bail du locataire de plus de 65 ans

Un bailleur peut solliciter l'expulsion de son locataire, même s'il a plus de 65 ans, lorsqu'il a commis une faute justifiant la résiliation du contrat de bail.

L'âge de ce dernier pourra néanmoins conduire à allonger la durée de la procédure d'expulsion.

A) Les délais pour quitter les lieux pouvant être octroyés par le Juge

Que ce soit devant le Juge des contentieux de la protection suite à la demande d'expulsion ou plus tard devant le Juge de l'exécution, le locataire pourra demander des délais pour quitter les lieux.

L'article L.412-3 du code des procédures civiles d'exécution donne la possibilité au Juge d'accorder un délai de 3 mois à 3 ans au locataire lorsque son relogement "ne peut avoir lieu dans des conditions normales".

L'article L.412-4 du code des procédures civiles d'exécution ajoute que: " Pour la fixation de ces délais, il est tenu compte de la bonne ou mauvaise volonté manifestée par l'occupant dans l'exécution de ses obligations, des situations respectives du propriétaire et de l'occupant, notamment en ce qui concerne l'âge, l'état de santé, la qualité de sinistré par faits de guerre, la situation de famille ou de fortune de chacun d'eux, les circonstances atmosphériques, ainsi que des diligences que l'occupant justifie avoir faites en vue de son relogement. Il est également tenu compte du droit à un logement décent et indépendant, des délais liés aux recours engagés selon les modalités prévues aux articles L. 441-2-3 et L. 441-2-3-1 du code de la construction et de l'habitation et du délai prévisible de relogement des intéressés"

L'âge du locataire sera ainsi pris en considération lorsqu'il s'agira de lui accorder des délais pour quitter les lieux.

B) L'obtention du concours de la force publique auprès du préfet

Si le locataire se maintient dans les lieux malgré le commandement de quitter les lieux qui lui aura été délivré (et après expiration des délais éventuellement accordés), le bailleur devra demander au préfet le concours de la force publique.

Avant d'accorder ou de refuser le concours de la force publique, le préfet doit apprécier les conditions de l'exécution des jugement d'expulsion selon la règle de l'examen particulier des circonstances (CE, 7 août 1920, Secrettant, p. 853).

Pour décider d'octroyer ou non la force publique le Préfet tient compte de la situation du locataire et notamment de son âge.Le refus du concours de la force publique est en pratique fréquent. Par exemple, en 2019 sur les 52.860 demande de concours de la force publique; 35.208 accords ont été donnés, ce qui représente 67% des concours demandés effectivement octroyés (rapport de la Cour des Comptes, 5ème chambre, 1ère section, S2022-1933, La prévention des expulsions locatives).

En cas de refus du concours de la force publique, le bailleur pourra néanmoins engager une action en responsabilité contre l’Etat (article L.153-1 du code des procédures civiles d’exécution). 
 

II- Le congé donné au locataire de plus de 65 ans

A) Les textes

1) Le texte applicable aux logements loués vides

L'article 15 III de la loi du 6 juillet 1989 prévoit que : "Le bailleur ne peut s'opposer au renouvellement du contrat en donnant congé dans les conditions définies au paragraphe I ci-dessus à l'égard de tout locataire âgé de plus de soixante-cinq ans et dont les ressources annuelles sont inférieures à un plafond de ressources en vigueur pour l'attribution des logements locatifs conventionnés fixé par arrêté du ministre chargé du logement, sans qu'un logement correspondant à ses besoins et à ses possibilités lui soit offert dans les limites géographiques prévues à l'article 13 bis de la loi n° 48-1360 du 1er septembre 1948 précitée. Le présent alinéa est également applicable lorsque le locataire a à sa charge une personne de plus de soixante-cinq ans vivant habituellement dans le logement et remplissant la condition de ressources précitée et que le montant cumulé des ressources annuelles de l'ensemble des personnes vivant au foyer est inférieur au plafond de ressources déterminé par l'arrêté précité.

Toutefois, les dispositions de l'alinéa précédent ne sont pas applicables lorsque le bailleur est une personne physique âgée de plus de soixante-cinq ans ou si ses ressources annuelles sont inférieures au plafond de ressources mentionné au premier alinéa.

L'âge du locataire, de la personne à sa charge et celui du bailleur sont appréciés à la date d'échéance du contrat ; le montant de leurs ressources est apprécié à la date de notification du congé."

Ce texte a été jugé conforme à la constitution (CC, 26 mai 2023, n°2023-1050).

2) Le texte applicable aux logements loués meublés

L'article 25-8 II de la loi du 6 juillet 1989 prévoit que : " Le bailleur ne peut s'opposer au renouvellement du contrat en donnant congé dans les conditions définies au I à l'égard de tout locataire âgé de plus de soixante-cinq ans et dont les ressources annuelles sont inférieures à un plafond de ressources en vigueur pour l'attribution des logements locatifs conventionnés fixé par arrêté du ministre chargé du logement, sans qu'un logement correspondant à ses besoins et à ses possibilités lui soit offert dans les limites géographiques prévues à l'article 13 bis de la loi n° 48-1360 du 1er septembre 1948 précitée. Le présent alinéa est également applicable lorsque le locataire a à sa charge une personne de plus de soixante-cinq ans vivant habituellement dans le logement et remplissant la condition de ressources précitée et que le montant cumulé des ressources annuelles de l'ensemble des personnes vivant au foyer est inférieur au plafond de ressources déterminé par l'arrêté précité.

Toutefois, les dispositions du premier alinéa du présent II ne sont pas applicables lorsque le bailleur est une personne physique âgée de plus de soixante-cinq ans ou si ses ressources annuelles sont inférieures au plafond de ressources mentionné au même premier alinéa.

L'âge du locataire ou de la personne à sa charge et celui du bailleur sont appréciés à la date d'échéance du contrat ; le montant de leurs ressources est apprécié à la date de notification du congé."

B) L'analyse

Il en résulte que le bailleur pourra librement donner congé à son locataire bien qu'âgé de plus 65 ans dans certains cas. Dans d'autres cas, il ne pourra donner congé à son locataire qu'à la condition qu'un logement correspondant à ses besoins et à ses possibilités lui soit offert dans certaines limites géographiques.

1) Les locataires de plus de 65 ans protégés

La protection s'applique à deux conditions cumulatives:

  • Le locataire lui-même ou une personne à sa charge et vivant actuellement avec lui est âgé de plus de 65 ans à la date d'échéance du contrat (= date de fin du bail)

ET

  • Les ressources du locataire sont inférieure à un plafond (ou les ressources du foyer, si l'occupant de plus de 65 ans n'est pas titulaire du contrat de bail). Il existe toutefois une tendance de certains juges à tenir compte des ressources du foyer même lorsque c'est le locataire qui est âgé de plus de 65 ans (voir notamment CA PARIS, 21 juin 2022, n°19/19149) .

Les ressources prises en compte sont les ressources annuelles du locataire déclarées à l'administration fiscale, avant tout abattement ou déduction pratiqués par cette administration (C.Cass. 3ème civ. , 18 févr. 1998, n°96-18.125). Les ressources du locataire doivent être appréciées à la date de la notification du congé (C.Cass. 3ème civ. 10 déc. 1997, n°95-11.994)

Montant des revenus 2021 à ne pas dépasser - Congé notifié en 2023
Nombre de personnes Types de personnes Île-de-France Autre région
Paris ou ville limitrophe de Paris Autre commune

1

1 personne seule

25 165 €

25 165 €

21 878 €

1 personne seule ayant la carte mobilité inclusion invalidité

37 611 €

37 611 €

29 217 €

2

2 personnes

37 611 €

37 611 €

29 217 €

Situation particulière :

  • Jeune couple
  • 2 personnes dont au moins 1 ayant la carte mobilité inclusion invalidité
  • 1 personne seule avec 1 personne à charge

49 303 €

45 210 €

35 135 €

3

3 personnes

49 303 €

45 210 €

35 135 €

Situation particulière :

  • 3 personnes dont au moins 1 ayant la carte mobilité inclusion invalidité
  • 1 personne seule avec 2 personnes à charge

58 865 €

54 154 €

42 417 €

4

4 personnes

58 865 €

54 154 €

42 417 €

Situation particulière :

  • 4 personnes dont au moins 1 ayant la carte mobilité inclusion invalidité
  • 1 personne seule avec 3 personnes à charge

70 036 €

64 108 €

49 898 €

5

5 personnes

70 036 €

64 108 €

49 898 €

Situation particulière :

  • 1 personne avec 4 personnes à charge
  • 5 personnes dont au moins 1 ayant la carte mobilité inclusion invalidité

78 809 €

72 142 €

56 236 €

6 et plus

6 personnes

78 809 €

72 142 €

56 236 €

Par personne supplémentaire

+ 8 782 €

+ 8 038 €

+ 6 273 €

Les communes limitrophes de Paris sont : Aubervilliers, Bagnolet, Boulogne-Billancourt, Charenton-le-Pont, Clichy, Fontenay-Sous-Bois, Gentilly, Issy-les-Moulineaux, Ivry-sur-Seine, Joinville-le-Pont, Le Kremlin-Bicêtre, Les Lilas, Le Pré-Saint-Gervais, Levallois-Perret, Malakoff, Montreuil, Montrouge, Neuilly-sur-Seine, Nogent-sur-Marne, Pantin, Puteaux, Saint-Cloud, Saint-Denis, Saint-Mandé, Saint-Maurice, Saint-Ouen, Suresnes, Vanves, Vincennes

2) L'Exception: les bailleurs protégés

Par exception, le bailleur pourra librement donner congé à son locataire s'il remplit au moins l'une des deux conditions suivantes:

  • Il est lui-même âgé de plus de 65 ans

ET/OU

  • Ses ressources sont inférieures au plafond évoqué ci-dessus

3) La validité du congé subordonnée à une offre de relogement

Pour que le congé soit valide, le bailleur devra proposer à son locataire un nouveau logement :

  • décent
  • correspondant à ses besoins
  • correspondant à ses possibilités
  • dans certaines limites géographiques

La Cour de cassation a estime que les textes n'imposent pas au bailleur de présenter au locataire protégé une offre de relogement en même temps qu'il lui délivre le congé. Il faut et suffit que cette offre soit faite pendant la période de préavis (C.Cass. Civ. 3ème 2 juin 2010, n°09-66.698; C.Cass. 3ème civ. 1er juillet 1998, n°96-16.761)

Un logement décent

Le logement doit répondre aux caractéristiques de décence énoncés aux deux premiers alinéas de l'article 6 de la loi du 6 juillet 1989 (article 13 bis de la loi n°48-1360 du 1er septembre 1948):

  • Un logement ne laissant pas apparaître de risques manifestes pouvant porter atteinte à la sécurité physique ou à la santé
  • Un logement exempt de toute infestation d'espèces nuisibles et parasites
  • Un logement répondant à un critère de performance énergétique minimale: la consommation d'énergie, estimée par le diagnostic de performance énergétique défini à l'article L. 126-26 du code de la construction et de l'habitation, doit être inférieure à 450 kilowattheures d'énergie finale par mètre carré de surface habitable et par an (article 3 bis du Décret n°2002-120 du 30 janvier 2002)

Un logement correspondant aux besoins du locataire

Le logement doit répondre aux " besoins personnels ou familiaux et, le cas échéant, professionnels" du locataire (article 13 bis de la Loi n° 48-1360 du 1 septembre 1948).

Il doit à minima respecter les règles de décence:

  • Le logement dispose au moins d'une pièce principale ayant soit une surface habitable au moins égale à 9 mètres carrés et une hauteur sous plafond au moins égale à 2,20 mètres, soit un volume habitable au moins égal à 20 mètres cubes (article 4 du Décret n°2002-120 du 30 janvier 2002 relatif aux caractéristiques du logement décent pris pour l'application de l'article 187 de la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains.)
  • 14 mètres carrés/33 mètres cubes au moins par habitant pour les quatre premiers habitants et de 10 mètres carrés /23 mètres cubes au moins par habitant supplémentaire au-delà du quatrième (Article R156-1 du CCH)

Il doit être adapté à l'état de santé du locataire (pas exemple: logement de plein de pied si l'état de santé du locataire ne lui permet pas de monter les escaliers).

Un logement correspondant aux possibilités du locataire

Les ressources du locataire et de son foyer doivent lui permettre de faire face au montant du loyer du logement proposé.

Un logement situé dans une zone géographique donnée

Le logement proposé doit être situé (article 13 bis de la loi n°48-1360 du 1er septembre 1948):

  • Dans le même arrondissement ou les arrondissements limitrophes ou les communes limitrophes de l'arrondissement où se trouve le local, objet de la reprise, si celui-ci est situé dans une commune divisée en arrondissements ;
  • Dans le même canton ou dans les cantons limitrophes de ce canton inclus dans la même commune ou dans les communes limitrophes de ce canton si la commune est divisée en cantons ;
  • Dans les autres cas sur le territoire de la même commune ou d'une commune limitrophe, sans pouvoir être éloigné de plus de 5 km.

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Charlotte SEBILEAU Avocat

10 rue Charles Brunellière
44100 Nantes

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